Pourquoi faire appel à un paysagiste pour aménager son jardin ?

Les aménagements extérieurs sont souvent le parent pauvre d’un projet de construction de maison. Le budget est généralement épuisé et les maîtres d’ouvrage renoncent à dépenser davantage pour leur jardin. Dommage, car la qualité de vie d’une maison dépend aussi de ses extérieurs. Comment faire pour que son jardin ressemble à autre chose qu’une pelouse entourée de thuyas ? Que faire pour favoriser la biodiversité dans son jardin ? Réponses avec Philippe Troyon, architecte-paysagiste chez « dessine-moi un jardin sàrl ».

Pour commencer, expliquez-nous la différence entre un horticulteur, un jardinier paysagiste et un architecte paysagiste?

En Suisse, la formation professionnelle est divisée en quatre branches de l’horticulture : horticulteur-paysagiste, horticulteur-pépiniériste, horticulteur-floriculteur et horticulteur-plantes-vivaces. De fait, nous sommes tous au départ des horticulteurs avec spécialisation. Donc par définition, le paysagiste est celui qui conçoit et réalise le jardin et l’horticulteur et le pépiniériste sont plutôt orientés vers la production. Dans les faits, la conception de projet de jardin à proprement parler n’existe quasiment pas au niveau de la formation CFC et le paysagiste se contente souvent de construire le jardin selon les vœux de l’architecte ou du client ; le jardinier-paysagiste est celui qui va l’entretenir. Chez « dessine-moi un jardin sàrl », nous avons tous les deux un CFC d’horticulteur-paysagiste avec un fort bagage pratique dû à nos nombreuses années sur le terrain ;  mon collègue Cédric est quant à lui ingénieur en « Gestion Nature ». Nous aimons nous appeler architecte-paysagiste car nous faisons bel et bien de la conception et de la réalisation de jardins, de A à Z, comme un architecte pour le bâtiment. 

Pourquoi faire dessiner ses aménagements extérieurs par un architecte paysagiste ?

Parce qu’aménager un jardin, c’est comme construire une maison. Si tu prévois et anticipes les besoins à long terme, il y a peu de risques de devoir faire un agrandissement après coup. L’architecte paysagiste prend le temps de bien définir les besoins du client. Il va répartir le cahier des charges sur l’entier de la surface pour que ce soit fait de manière harmonieuse en essayant d’anticiper les demandes futures. Est-ce qu’il y aura suffisamment de place pour jouer avec les enfants, la terrasse prévue par l’architecte est-elle suffisamment grande ? L’architecte-paysagiste écoute les désirs du client, définit ses besoins et les transcrit dans un projet qui sera adapté à moyen-long terme. Le paysagiste répond aussi aux vœux du client, mais il ne prend pas assez de temps pour rentrer dans son univers. Notre démarche est plus personnalisée. Il n’y a pas de jardin-type avec nous, le jardin est le reflet des personnalités que nous rencontrons.

Comment procédez-vous pour imaginer un projet d’aménagement?

Nous avons un questionnaire de base que nous envoyons aux clients tout de suite. C’est simple, rapide, avec trois réponses à choix. Le retour est intéressant. Il y a des gens qui nous disent : on n’avait pas imaginé pouvoir faire ça, ça nous a fait réfléchir. Du coup, ils s’investissent dans le projet. En terme d’entretien, il n’y a pas mieux qu’un jardin qui est compris et accepté par le client. Il va s’investir et le suivre. Sinon, dans trois-quatre ans, le projet ne sera plus lisible et le client sera déçu. A partir de ce questionnaire, nous avons une carte qui nous permet d’avancer. Une fois que nous avons le mandat, nous faisons un style de roman-photo. Le client doit choisir des photos montrant ce qu’il aime ou n’aime pas. Cela nous informe sur la manière dont les gens fonctionnent. La difficulté, c’est de faire comprendre aux gens qu’un jardin, c’est quelque chose de dynamique. Il faut comprendre comment fonctionne le vivant parce que si vous voulez vous battre contre, vous allez toujours être dans l’entretien.

Quels sont les éléments importants d’un jardin réussi ?

Un jardin, c’est un mélange entre la présence de l’homme, sa façon de s’accaparer le lieu, de l’entretenir et de le gérer, et sa capacité à lâcher prise face à des éléments naturels qui le dépassent. Pour nous, un jardin réussi c’est lorsqu’il y a une communion entre des éléments naturels sans contrôle, en acceptant ce qui se passe, et un jardin qui est contrôlé naturellement. Le problème de l’humain jusqu’au début du 21ème siècle, c’est qu’il a été trop loin dans la maîtrise du naturel et qu’il commence à en payer le prix : plus d’oiseaux, ni d’insectes utiles ou trop d’insectes ravageurs. La nature est un tout et nous avons voulu enlever ce qui ne nous plaisait pas. Aujourd’hui le système ne fonctionne plus si on exclut les produits phytosanitaires, les intrants et les engrais. La nature est plus forte que nous, autant vivre en adéquation avec elle. Il y a des endroits où ne peut pas créer quelque chose de proche de la nature mais quand on en a la possibilité, il faut le faire. Un jardin réussi, c’est où l’humain se sent bien mais où la nature a un minimum d’espace pour s’exprimer, qu’elle ne soit pas totalement exclue du jardin. Avec certains cahiers des charges, ce n’est pas possible. Un jardin réussi, c’est surtout un jardin que les clients sont prêts à suivre, à aimer, à développer selon le projet que nous avons imaginé. Voire même qu’en s’impliquant, ils vont aller plus loin. Contrairement au bâti, le jardin peut évoluer. Un jardin réussi, c’est un jardin qui va vivre avec les gens.

Comment peut-on aménager un jardin qui soit le plus favorable possible à la biodiversité ?

En multipliant les écosystèmes ! Il faut créer une multiplicité d’espaces différentes : des lieux riches, pauvres, minéraux, secs, humides. Des lieux délaissés aussi, comme une prairie maigre ou grasse, où on ne peut pas se promener mais observer. Cela peut aussi être un petit point d’eau, une haie d’arbustes indigènes, un tas de bois, un toit végétalisé sur un cabanon. Plus c’est diversifié, plus il y a de chances que la biodiversité se développe et crée un équilibre. Le plus préjudiciable est le gazon et la monoculture de thuyas ou de laurelles ainsi que l’entretien robotisé et indifférencié. Chaque petit acte, même pour un petit jardin, compte. Il y en a qui mettent un hôtel à insectes et c’est une bonne chose mais à partir du moment où le jardin est riche et favorable à la biodiversité, les insectes viennent tout seul et l’hôtel devient inutile ! L’important est la curiosité et l’observation.

Vous avez dessiné le projet d’aménagement extérieur de la maison passive de notre directrice associée Myriam Donzallaz. Expliquez-nous ce projet en quelques mots.

Le projet est un mélange entre des problèmes pratiques à régler et notre volonté d’amener quelque chose qui se marie bien avec la maison sobre et contemporaine. Il en est sorti quelque chose d’assez simple : nous avons proposé un coin feu disposé le plus loin possible de la terrasse, parce que l’idée, c’est de pousser les gens à aller au fond du jardin. Entre les deux, il y avait la place pour un espace gazon. Un cordon boisé a été planté pour se protéger du futur voisin. A l’arrière du terrain, pour gérer la pente, nous avons créé un petit muret qui nous a permis de proposer des bacs en hauteur pour le jardin potager. Ils ont été associés à la terrasse en bois qui était déjà prévue. Cet élément très construit se prolonge jusqu’au coin feu. Nous avons travaillé avec des matériaux simples, bruts comme l’acier CorTen pour les bacs, le mur d’appui, les marches d’escaliers. Par opposition, le coin feu possède une ambiance plus naturelle avec des blocs de pierre de Tatüren. Au-dessus du mur, nous avons imaginé une plantation de fruitiers qui permet une transition entre cet espace très construit et le pré. Du côté du pré ouvert, il y avait très peu d’espace mais nous trouvions joli que ce soit un dégagement sans limites. Nous avons laissé les propriétaires libres d’y développer quelque chose.

«Un jardin réussi est un jardin où l'humain se sent bien mais où la nature a un minimum d'espace pour s'exprimer. »

Philippe Troyon, Architecte-paysagiste, Dessine-moi un jardin